"Est-ce que tu es préparé ? Que fais-tu contre le foisonnement ?" (Michaux)
A côté de la part stérile de la crise, qui fabrique une psychologie de la conservation et une sorte de grande peur, il y a une belle occasion pour l'homme d'inventer l'homme. Le mot crise est d'ailleurs un leurre car le réel souffre de longue maladie, nous vivons sans nous en rendre bien compte en état critique permanent et ce qui se produit aujourd'hui n'est que la phase tsunamique d'un processus qui contient la logique de ses propres excès.
Or s'il y a bien une chose à laquelle invite l'emballement actuel, c'est à un arrêt complet des moteurs le temps d'une pause réflexive minimale. Ce qu'il y a à saisir en effet, ce n'est pas, sur le dos de l'accident général, une opportunité de se frotter les mains, à l'instar d'un supplément de quotidien qui titrait tout récemment :« La crise est là, comment en profiter ? »(1); c'est bien davantage, pour la pensée, une sommation à revenir aux sources. Ce qui ne veut pas dire du tout que l'heure de penser nous éloignerait du réel, contrairement à ce qu'une opinion paresseuse, entretenue par les pourfendeurs de tout scepticisme, aimerait faire croire. C'est bien parce que la pensée est toujours au cœur du réel, qu'elle l'incline selon des directions déterminées et que les forces antagonistes qui ressurgissent ici ou là, en Guadeloupe ou en Grèce par exemple, mais ce pourrait être ailleurs dans l'histoire ou sur la planète, ne sont rien d'autre que de sporadiques épisodes d'une guerre des pensées depuis longtemps amorcée. Mais la pensée qui fait l'histoire est si souvent inconsciente d'elle-même, elle emprunte si négligemment aux banques des pulsions humaines que ce qu'elle ne supporte à vrai dire pas, c'est son redoublement, sa mise en miroir ironique ou critique. Tout pas de côté, tout exercice de conscience incommode et non soumise est une atteinte directe à l'unilatéralité d'une mise au pas du monde. Si bien que, là où la situation exige objectivement une reconsidération globale du système, un ralentissement des machines à mouvements, on assiste à un absurde et suicidaire traitement de la vitesse par l'accélération.
Le problème de la chose collective est d'autant plus tendu qu'il s'empêtre à la fois dans l'impossibilité de recourir à la science et dans la nécessité d'une prise en charge du monde menée dans l'inespoir le plus total que les actions d'aujourd'hui soient reconduites demain...
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