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    Métropolitain, ligne 13. Un mec assis au fond de la banquette fixe le sol. Emmitouflé dans un blouson épais de couleur marron, les coudes sur les genoux et les mains sur les joues, il attire l’attention car des larmes s’écoulent sur son visage, sans bruit ni reniflement, paisiblement. Le visage reste impassible, aucune ride ne vient souligner ce que disent les larmes. La peine se dit dans un silence assourdissant. Et les voyageurs, nombreux et formant une masse impersonnelle, dans un silence tout aussi assourdissant, regardent cet homme pour qui la douleur est si intense qu’il ne parvient plus à la contenir devant ses semblables. 

    Un mec pleure et  la machinerie du métro chante sa musique urbaine. Les crissements des roues de métal sur les rails sont les cris que ce quidam retient. La gêne ambiante se dit par des regards qui se croisent, des regards qui cherchent à fuir, des regards et des regards. Au dehors, il n’y pas de dehors, seulement l’obscurité des longs couloirs, aucun paysage à offrir aux regards qui cherchent désespérément une issue à leur désarroi de n’avoir rien à fixer, rien, rien d’autre que l’étreinte de la gêne. Et les crissements métalliques, qui exaspèrent habituellement les voyageurs, sont aujourd’hui un soutien, ils remplissent le vide et offrent des possibilités de changer de position sans attirer l’attention, de se racler la gorge sans que les regards désorientés ne trouvent là une occasion de se fixer, au moins pour un instant.

    Et à proximité, les larmes continuent de ruisseler. Paisiblement, elles ruissellent.

    Station St Lazare, l’homme se lève et quitte le wagon, une main sur le front pour cacher des yeux rouges d’une douleur qui s’écoule.

    Les portes se referment comme une gifle assourdissante. L’homme disparaît dans les méandres des couloirs du métro. La machine s’élance et reprend ses crissements. Quelque chose s’est passé dans ce wagon sans qu’aucune trace ne puisse en témoigner. Les voyageurs qui montent aux stations suivantes ignorent que les larmes d’un mec, ici, il y a encore un instant, s’écoulaient… paisiblement au milieu d’un désarroi collectif.

    Ce billet est cette trace qui témoigne.

     


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